UN RÊVE VERT AU PAYS DES CÈDRES
L'ONG libanaise Bahr Loubnan a décidé de faire de Naqoura, un village écologique. Tri sélectif, préservation du littoral et agriculture biologique doivent lui redonner vie. Une démarche ambitieuse dans un pays où l'écologie reste encore une utopie.
Il est 11h30 quand le chant du muezzin perce les murs de la mosquée. Dehors, le ciel est bleu et le soleil presque au zénith. L'atmosphère est silencieuse et les rues quasiment désertes jusqu'à ce que les convois militaires y pénètrent. En contrebas du village, les fils barbelés et les postes de contrôle ne parviennent pas à gâcher la beauté des lieux.
C'est ici, à Naqoura que l'ONG Bahr Loubnan – La mer du Liban en français - a décidé de lancer son concept de village écologique. « Lorsqu'un ami m'a amené ici, j'ai trouvé l'endroit magnifique et je me suis dit qu'il fallait absolument le préserver », raconte Rima Tarabay, vice-présidente de l'association. C'est ainsi qu'en 2005, elle signe un accord de coopération avec la municipalité. Selon l'ONG, cette initiative est unique au Liban.
Fait surprenant, Bahr Loubnan créée en 2002 par Rafik Hariri a choisi un village qui se situe dans le fief du Hezbollah. Aujourd'hui, plusieurs membres du Parti de Dieu sont accusés par le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) d'avoir organisé en 2005 l'attentat qui a coûté la vie de l'ancien Premier ministre. Pour le maire Hezbollah Hussein Awada, « tant que l'ONG a un but environnemental, il n'y a pas de soucis. Depuis que l'on collabore ensemble, il n'y a eu que des choses positives. L'environnement ne doit pas avoir de couleur politique ». Rima Tarabay ajoute: « Là où la politique a échoué à rassembler les Libanais, l'environnement peut le faire ».
Ce village de 2000 habitants est situé au Liban-Sud, une région occupée de 1982 à 2000 par les troupes israéliennes. Depuis le retrait de l'armée et faute d'un accord de paix, la région a été placée sous le contrôle de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul). Paradoxalement, les dix-huit années d'occupation ont permis de préserver Naqoura des constructions anarchiques qui ont défiguré une grande partie du Liban depuis la Guerre civile. « Il n'y a aucune prise de conscience écologique de la part du gouvernement libanais, il ne soutient absolument pas notre initiative », se désole Rima Tarabay. Selon le ministère de l'Environnement, le coût de la détérioration environnementale au Liban s'élèverait chaque année à 565 millions de dollars, soit 3,4% du produit intérieur brut.
Du tri sélectif
Il y a un mois, l'ONG a installé un composte dans cinq habitations. Selon l'association, au Liban 60% des déchets domestiques sont organiques. Cette innovation devrait donc permettre d’en éliminer la majorité. Ce jour-là, la vice-présidente entame une tournée des foyers et constate la réussite de cette première expérience de tri sélectif. Rada Radbouni, une jeune maman de 34 ans, l'accueille le sourire aux lèvres. Tout en ajustant son foulard, elle vante les avantages du composte: « C'est vraiment très utile, avant je ne savais pas où mettre les déchets, je trouvais ça dommage de jeter les restes. Aujourd'hui, je pense que tout le monde devrait avoir un composte chez soi. » Rima Tarabay semble soulagée. « Je sais qu'au début tout le monde était sceptique, même le maire, dit-elle. Le tri ne fait pas partie des habitudes des Libanais. » Pourtant, l'ONG Bahr Loubnan espère que ça le devienne. Des poubelles verte, jaune et bleue vont bientôt être installées dans les rues du village.
En juin dernier, l'association s'est également lancée dans le nettoyage du littoral. Même si les plages de Naqoura n'ont pas été dénaturées par des hôtels et des restaurants, les déchets font partie du paysage. « Pour nettoyer la côte, nous avons envoyer des gens du village. C'était une manière de les sensibiliser et de les intégrer dans le projet », explique Rima Tarabay. Mais aujourd'hui, cannettes de soda, papiers et bouteilles en plastique gisent encore sur le sable. « Quand je suis revenue le mois dernier et que j'ai constaté que la plage était sale, j'étais vraiment énervée, reconnaît-elle en riant. J'ai compris que les choses n'allaient pas se faire du jour au lendemain. Ce sera long mais j'y crois. »
Selon Bahr Loubnan, « il n'a pas été difficile de convaincre la population de Naqoura du bien fait du projet ». « Les habitants ont vite compris que nous allions leur permettre de faire des économies. Ici, il est plus facile de parler d'argent que d'environnement. » Le maire de Naqoura, en fonction depuis un an et demi atteste : « La population est ravie. Avec le nettoyage de la plage et l'installation des compostes, ils ont constaté qu'il y avait du concret. »
Redonner vie
Mais le pari est encore loin d'être gagné. Désormais, la priorité est l'eau. A Naqoura, les foyers ne sont pas reliés à un réseau d'assainissement. « Les habitants utilisent énormément de bouteilles en plastique ce qui ne fait qu'augmenter la pollution », constate la vice-présidente. L'ONG a donc décidé de construire une usine de traitement des eaux. Mais les financements privés sont difficiles à trouver. « La Finul devait investir dans l'usine mais elle a reculé », indique Rima Tarabay. Déterminée, cette jeune femme de 46 ans compte frapper aux portes des ambassades étrangères. Par manque d'argent, la municipalité ne participe pas au budget de l'association. « Vue la situation politique, le gouvernement ne nous a même pas versé de budget en 2011 », révèle le maire.
Synonyme d'appauvrissement et de souffrance, à Naqoura comme partout dans le Sud, l'occupation israélienne est encore présente dans tous les esprits. Dans les années 1980, une grande partie des jeunes hommes a fuit le village de peur d'être recruté de force par l'Armée du Liban Sud. Une milice libanaise qui a collaboré avec Israël. « Ces jeunes sont partis à Tyr et Saida, ils ont investi là-bas et très peu sont revenus après 2000. Le village a été déserté », raconte le maire. Le développement durable doit redonner vie à Naqoura, redynamiser le village. « Je veux que les habitants s'approprient leur terre et apprennent à la préserver, insiste Rima Tarabay. Aujourd'hui, c'est une zone militaire donc personne ne veut investir ici. Mais un jour, cette situation va cesser. C'est donc une course contre la montre que nous entamons. »
Un label écologique
L'ambition ultime de Bahr Loubnan est de faire de Naqoura un exemple écologique pour le Liban et l’ensemble du Proche-Orient. L'association a donc le projet de développer l'agriculture biologique et de créer ainsi un label « Made in Naqoura », certifié par une autorité européenne. Depuis de nombreuses années, les agriculteurs du village ont abandonné les cultures traditionnelles - tomates, carottes, aubergines - pour se lancer dans la culture des oranges et des bananes. Mais aujourd'hui, le marché arrive à saturation. C'est le cas de Mahdi Mahdi. La maison de cet agriculteur de 62 ans surplombe le village. Cet après-midi, Rima Tarabay lui apporte des sacs en plastique 100% biodégradables. « Au lieu de mettre tes sacs bleus autour des bananes, mets ceux-là, ils ne polluent pas! »
« Si je me lance dans l'agriculture biologique ce n'est pas pour l'argent. Ce qui est important à mon âge c'est de faire quelque chose pour le bien de l'humanité », affirme Mahdi Mahdi tout en dégustant son café turc. L'ONG sait que les agriculteurs ne vont pas se lancer du jour au lendemain dans le bio. Un groupe de cinq personnes devrait donc inaugurer le concept en lançant une culture biologique sur des terres encore vierges. Mahdi Mahdi joue, en homme sage, le rôle d'intermédiaire: « J'encourage les autres agriculteurs à s'investir dans le projet. Je les rassure et je leur dis que financièrement c'est intéressant parce que les pesticides coûtent très cher. »
L'association, la municipalité et les habitants savent que ce projet sera long. Mais opiniâtre, Rima Tarabay conclut: « Naqoura c'est le projet de toute une vie. Il n'y aura pas de fin. »
Fériel Alouti